Depuis son concert à l'Auditorium du CRD il y a 11 ans, on rêvait d'invite rElina Duni sur la scène du Théâtre de Charleville-Mézières. Plusieurs rendez-vous furent pris mais annulés par des circonstances dramatiques puis par la crise sanitaire, au point qu'Elina se présente sur scène en disant qu'elle a le sentiment d'avoir levé une malédiction!
Pour notre plus grand bonheur, car cela nous a permis de découvrir sur scène la magnifique formation qui a enregistré son dernier album "Lost Ships" paru sur le label ECM au début de la pandémie.
Le concert débute en trio avec "Bella Ci Dormi", un traditionnel italien, suivi par son pendant albanais, histoire de montrer que la musique n'a pas de frontière. D'ailleurs, Elina qui se définit comme citoyenne du monde enchaîne avec "Brighton", morceau composé avec Rob Luft, chanté en anglais et en français pour lequel elle accueille l'excellent Matthieu Michel au bugle, qui apporte une chaleur indéniable et la sensibilité de son phrasé. Fred Thomas alterne batterie et piano selon les morceaux avec un égal bonheur, ( Quel toucher et quel sens de la mélodie et de l'harmonie au piano!) et on découvre avec ravissement Rob Luft, guitariste d'une folle originalité et d'une dextérité étonnante. Sa maîtrise du son est fascinante, tant au niveau électronique que par le cumul de diverses techniques de la main droite, médiator, arpèges, déplacements du chevalet au milieu du manche, parfois même usage parcimonieux du tapping. L'usage de la pédale de volume lui permet de développer des climats sur lesquels se pose la somptueuse voix d'Elina Duni, qu'il habille ensuite de volutes virtuoses tout en finesse. On est à mille lieues des chorus habituels au jazz, la guitare orchestre en permanence les compositions et les reprises... Car le répertoire est varié, et légèrement différent de celui du CD. Si Elina continue le concert avec"Lost Ships", composition qui donna son titre à l'album, dédié à ces migrants qui embarquent sur des bateaux qui ne sont pas certains d'arriver à bon port , communiquant au public une émotion très forte, si elle reprend bien avec sa propre sensibilité " Hier Encore" la chanson écrite et immortalisée par Aznavour, les quelques standards jazz présents sur le disque ont été remplacés par d'autres: dont "Look for the Silver Lining", interprété sur un léger rythme funky pour tenter de sortir du stress causé par la crise et voir la lumière du soleil dernière les nuages... ( dixit Rob Luft ) S(il y a bien quelques autres traditionnels albanais, on découvre également une chanson en arabe qu ' Elina Duni a chanté à la demande de et avec un contrôleur aérien dans un aéroport égyptien, anecdote savoureuse. Plus inattendue dans ce répertoire, une très belle version de "Couleur Café" aux belles harmonies vocales.
Malgré cette variété de sources, le répertoire garde une belle unité, l'émotion qui le sous-tend trouvant à s'exprimer dans tous les domaines, porté par la tés belle voix d'Elina Duni, à l'aise dans tous les contextes.
En premier rappel, une reprise très osée du standard "Willow Weep for Me" immortalisé par de nombreuses diva du jazz, mais arrangé par Rob Luft avec une orchestration et des rythmes inspirés par la musique du désert marocain ! Inattendu et très réussi, la preuve une nouvelle fois que la musique n'a pas de frontière. On se quitte avec une ballade albanaise, histoire de rappeler les origines d'Elina Duni qui peut se réjouir avec le public d'avoir conjuré la "malédiction de Charleville".
Patrice Boyer